Dans les allées du salon InterAirport de Munich en novembre dernier, juste avant la vague Omicron, un optimisme prudent était de rigueur. « Runway to recovery » – c’était le titre de l’édition 2021 : des chiffres meilleurs que 2020 sur le front des compagnies aériennes (environ 50% de sièges passagers affrétés en plus) et le constat d’un trafic en accélération pendant les périodes de levée des restrictions (+14,5% de passagers annoncés par le groupe ADP sur les neuf premiers mois de 2021).

Et puis… : Omicron.

Une filière d’excellence face à l’incertitude

Même si les conséquences à court terme de la cinquième vague semblent peu marquées pour l’instant (seuls 3% des sièges auraient été supprimés par les compagnies aériennes depuis mi­décembre), l’incertitude est toujours le maître mot pour la filière aéroportuaire française.
« Le problème n’est pas de savoir si le trafic va reprendre, c’est de savoir quand, ponctue Isabelle Duval, chef de projet Transports et Infrastructures chez Business France. Et cette attente est d’autant plus pénible que les enjeux de transformation digitale et environnementale, couplés à l’explosion des besoins en capacités d’accueil, laissent entrevoir des opportunités de croissance nombreuses, notamment à l’export ».

Car cette filière, qui couvre toutes les activités de construction et de gestion des aéroports – de la piste aux équipements en passant par la tour de contrôle, les services et le bâtiment lui-même – s’est imposée de longue date comme l’un des fleurons hexagonaux sur les marchés étrangers. « Au-delà des locomotives comme Aéroports de Paris (ADP), VINCI Airports, Egis, Thales ou TLD, la France dispose d’un tissu de PME spécialisées sur des expertises à forte valeur ajoutée : le balisage des pistes, la sécurité des terminaux, l’automatisation des processus passagers ou encore la billetterie, explique Isabelle Duval. Au total, ce sont 50 milliards de chiffre d’affaires et 300 000 emplois qui sont représentés ».

Les mesures sanitaires prises à l'aéroport

Inde, Indonésie, Turquie, États-Unis… Les marchés porteurs

Alors, quand des pays comme les Etats-Unis ou l’Inde lancent des programmes ambitieux pour répondre à l’explosion structurelle du trafic aérien mondial (qui devrait atteindre les 6 milliards de passagers d’ici 2030[1]

malgré l’interruption brutale due à la pandémie), les acteurs français sont souvent en première ligne pour répondre aux besoins.
« En Inde où le gouvernement a lancé l’initiative NABH[2] , on a vu ADP entrer au capital du géant local GMR Group à hauteur de 49%. Idem en Turquie où TAV est une filiale du groupe à 46%, alors que le marché turc est en plein essor – avec notamment la rénovation de l’aéroport d’Istanbul en 2018 et l’extension prévue de Sabiha Gökçen, le second aéroport du pays », cite Isabelle Duval. Aux Etats-Unis, ce sont près de 115 milliards de dollars qui auraient été investis dans les infrastructures d’ici à 2025 [3] , pour moderniser un tissu aéroportuaire dont la moyenne d’âge s’élève à 45 ans. Et en Indonésie, une initiative a été lancée en 2016 pour construire 17 aéroports et en moderniser 35.

Face à toutes ces opportunités de marchés (qui se retrouvent également au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est), l’expertise historiquement reconnue des Français en matière d’ingénierie et de préservation/valorisation de l’existant permet souvent de l’emporter face aux concurrents allemands (ex : Fraport), espagnols (ex : Ferrovial) ou anglo-saxons (ex : Macquarie). « Mais au-delà de cette compétence presque patrimoniale, c’est la capacité des 180 entreprises de la filière à répondre aux nouveaux usages et aux nouveaux enjeux qui place souvent la France en position de tête », souligne Isabelle Duval.

Le Smart Airport

Cybersécurité, dispositifs connectés, clean and safe airportLes innovations numériques sont en effet légion dans un secteur marqué par le besoin paradoxal de garantir la sécurité des processus tout en limitant le temps passé en procédures. Un double besoin intimé par la baisse de main d’œuvre mais aussi… l’enjeu commercial au sein du terminal. « Avant la pandémie, chaque passager qui transitait par un aéroport dépensait en moyenne 18 à 20 euros, synonyme de revenus importants pour compléter les taxes d’aéroport : en optimisant les temps de passage aux portes, via la digitalisation notamment, on peut espérer augmenter les recettes des boutiques et des restaurants[4] », explique Isabelle Duval.
Un effort de digitalisation qui s’incarne au sein de la filière française par des groupes comme Thales ou CS Group dans la tour de contrôle mais aussi des jeunes pousses comme Flyinstinct (système de détection des débris sur la piste via l’intelligence artificielle), Orok (chariot à bagage électrique et autonome), ou encore Stanley Robotics, le robot voiturier capable d’optimiser le temps passé au parking. « La pandémie a renforcé le besoin d’agilité dans l’organisation des aéroports, notamment sur le front sanitaire (avec les systèmes de désinfection par exemple, ou de comptage de foules) : toute solution de fluidification par le digital sera donc largement appréciée ».

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Le Green Airport

Autre tendance forte de modernisation : le green airport, ou développement de dispositifs durables au sein de l’activité aéroportuaire. « Les circuits d’autoconsommation par panneaux solaires ou retraitement des eaux, mais aussi des projets de grande ampleur comme l’équipement des aéroports en bornes hydrogène font partie des pistes envisagées », note Isabelle Duval. Suivant le programme « zéro émission » d’Airbus visant à construire le premier avion à hydrogène d’ici 2035 et en lien avec les financements du programme Horizon Europe de l’Union Européenne, le groupe ADP a ainsi lancé un appel à manifestation d’intérêt pour structurer une filière aéroportuaire autour de la question : en mai 2021, onze gagnants ont ainsi été annoncés. Autre projet d’envergure : la formation d’une filière autour de la mobilité aérienne urbaine décarbonée, lancée en octobre 2020 sur l’aérodrome de Pontoise-Cormeilles-en-Vexin et qui pourrait offrir aux acteurs français de nouveaux terrains d’exploration – en même temps que de nouvelles perspectives d’infrastructures.

Nouvelles perspectives d’infrastructures dans l'aéroport

Des raisons d’espérer ?

Un secteur en pleine mutation donc, mais qui attend l’ordre de redécoller : d’après Eurocontrol, les chiffres resteraient encourageants avec, dès 2022, une reprise du trafic estimée à 85% de celui de 2019 et un retour à la normale prévu « fin 2023, début 2024 ». Et puis, il y a des échéances comme les Jeux Olympiques de 2024 ou la Coupe du monde de Rugby de 2023 qui devraient, sauf contexte pandémique, faire affluer des touristes dans les nombreux aéroports français[5] – vitrines improvisées du savoir-faire hexagonal. Sans compter le maintien en bonne santé de l’activité cargo tout au long de la crise épidémique.
« La filière a traversé la crise en tentant d’équilibrer ses pertes avec les aides de l’Etat ou les autres activités de son portefeuille, témoigne Isabelle Duval. Mais elle est l’une des plus touchées du secteur aérien : rien qu’en France, près de 30 000 emplois auraient été supprimés et la perte des recettes acquises sur les taxes ou les boutiques a vidé les trésoreries, sans compter l’effet indirect de l’explosion des coûts des matières premières ».

À court terme : Investir les marchés domestiques et prospecter

Que faire, alors, pour tenter de conjurer cette si longue (et douloureuse) attente ? « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, tous les investissements n’ont pas été gelés, signale Isabelle Duval. De nombreux aéroports profitent de l’interruption momentanée pour effectuer des travaux ; et les grands programmes gouvernementaux lancés à la fin des années 2010 (en Inde, en Indonésie, etc) n’ont pas été revus à la baisse ». La recommandation est alors de partir explorer les pays qui disposent d’un marché domestique important et qui peuvent ainsi compter sur un maintien des vols intérieurs – comme la Chine qui affiche un niveau d’activité proche de l’avant-COVID, ou encore l’Inde et les Etats-Unis.

« Mais c’est également un bon moment pour nouer des relations commerciales de long terme sur des marchés d’avenir, en utilisant l’accélérateur que constitue le réseau export français sur la filière : la Team France Export bien sûr, mais aussi l’association Proavia qui multiplie les opérations de promotion du savoir-faire français à l’international », signale Isabelle Duval.
Surfant sur les tendances digitales et environnementales, l’association a ainsi fait paraître un répertoire qui recense les acteurs français en pointe sur ces questions[7] . Côté Team France Export, ce sont les business meetings et les grands événements qui animent le réseau : « En juin prochain, en marge du salon Passenger Terminal Expo à Paris, nous projetons ainsi une rencontre d’affaires avec la Civil Aeronautics Administration taïwanaise ; et d’autres opérations se montent en Inde avec les groupes GMR et Adani ». Sans compter l’accès à des informations sur les appels à projets sur le site de la Team France Export (via la page Infos Marchés).

« Nous avons à cœur de montrer que la reprise est au coin de la rue pour la filière : les besoins en modernisation et innovations sur les marchés d’export sont très forts, surtout sur l’enjeu durable. Il faudra donc se montrer prêt à réagir très vite pour investir un marché – et cela se construit dès à présent, dans cette période d’entre-deux un peu sclérosante pour la filière. C’est un secteur qui a souffert et qui continue de souffrir mais la reprise est bien là et elle risque d’être exponentielle dès le redémarrage ! »

 

 

[1] Selon l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (ICAO)

[2] NextGen Airports for Bharat, programme de rénovation visant à quadrupler la capacité des aéroports indiens d’ici 10 ans, avec la construction de cent aéroports d’ici 2024.

[3] Selon l’Airport Council International

[4] Aéroports de Paris (ADP) affiche désormais 58 000 mètres carrés de surfaces commerciales et autant de surfaces immobilières

[5] Avec 39 aéroports ouverts au trafic international, la France est le 4e pays en termes d’infrastructure aéroportuaire internationale, derrière les Etats-Unis (163), la Russie (73) et la Chine (46).

[6] L’Etat français a accordé une avance de 300 millions d’euros à l’ensemble des aéroports nationaux

[7] A consulter

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