Le 18 novembre dernier, à Boca Chica au Texas, la communauté mondiale du spatial avait les yeux rivés sur le lancement de Starship, la mégafusée de SpaceX. Et malgré l’échec de cette deuxième tentative de mise en vol (la fusée ayant explosé après la séparation avec l’étage de propulsion), l’événement était commenté avec enthousiasme par les observateurs américains, convaincus des avancées majeures en matière de reconquête lunaire et spatiale.

    NEW SPACE : UNE DÉCENNIE DE RÉVOLUTION

Cet optimisme, c’est le fruit d’une décennie de révolution sur le marché mondial de l’aérospatiale. Une décennie pendant laquelle SpaceX, mais aussi Blue Origin, Rocket Lab, Planet Labs ou encore Axiom Space ont incarné la recomposition des acteurs et des technologies dans le milieu du spatial. Un nouveau marché baptisé « New Space », venu damer le pion aux monopoles des agences publiques nationales – depuis le fameux programme COTS de la NASA qui, en 2008, a permis à SpaceX d’opérer les lancements de fusées américaines. « Si l’on doit résumer le New Space, on peut dire que c’est la rencontre entre un nouveau type d’offres (des lanceurs réutilisables, des composants plus accessibles, des satellites miniaturisés) et une nouvelle demande de services spatiaux (télécoms, défense, environnement, assurance, gestion des risques, IoT…) », explique Julien Tacco-­Narquin, chef de pôle au bureau Business France Amérique du Nord, en charge notamment du secteur spatial.
À l’arrivée : un marché mondial passé de 210 milliards de dollars en 2010 à près de 450 milliards en 2020, et près de 550 milliards en 2022, soit 10% de croissance annuelle en moyenne. « On parle même de projections à mille milliards de dollars d’ici 2040 », précise Julien Tacco­-Narquin.

Un contexte porteur qui trouve son apogée scientifique et commerciale aux États-Unis, marché leader du secteur. « La croissance porte sur tous types de commandes, qu’elles soient publiques ou privées, confirme Julien Tacco-­Narquin. Et les besoins opérationnels couvrent aussi bien la fabrication et la maintenance en orbite de satellites que les services de lancement ou les applications embarquées (surveillance, data monitoring, IA, localisation, etc) ».

     LA FRANCE EN PÔLE POSITION

Dans ce paysage hétéroclite, la France, pays pionnier sur l’aérospatiale, entend jouer les premiers rôles et positionne peu à peu des acteurs innovants sur tous les maillons de la chaîne de valeur. Exotrail, Share My Space, Kineis, UnSeen Labs… autant de pépites tricolores qui, ces dernières années, ont su convaincre les donneurs d’ordre américains de leur potentiel d’innovation, et qui dessinent un renouveau durable de l’export français sur ce marché.

« Entre la France et les États-Unis, les liens se sont resserrés en quelques années, explique Samantha Douarin, chef de projet Aéronautique et Spatial chez Business France. L’attrait pour les technologies pionnières françaises a permis d’ouvrir l’accès à certains donneurs d’ordre ». Exemple numéro un avec la startup de renseignement géospatial Preligens qui effectue des missions auprès du Pentagone – illustration parfaite du pragmatisme américain en matière de choix technologique. « Depuis que la Russie s’est retirée du marché, les européens ont davantage de place pour pousser leurs savoir­faire : tout le travail côté français consiste maintenant à simplifier cet accès au marché d’un point de vue réglementaire et commercial », analyse Samantha Douarin.

En 2021, le principe d’un dialogue global franco-américain sur l’espace est acté lors d’une visite de la vice-présidente Kamala Harris à Emmanuel Macron. Objectif : réunir sur une base régulière les représentants institutionnels et privés des deux pays pour développer la coopération commerciale, civile et militaire sur ces sujets. Le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) et le Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS) sont à la manœuvre pour catalyser les mises en relation ; et Business France agit en « bras armé » sur la partie internationale. « Nous travaillons annuellement à une programmation d’événements à travers le monde sur le secteur spatial, en ciblant au préalable les besoins locaux », précise Samantha Douarin.

     LES FRENCH SPACE DAYS, UN EFFORT COLLECTIF

Au printemps 2024, lors des French Space Days USA, Business France et ses partenaires, le CNES et le GIFAS, emmèneront pour la deuxième année consécutive une délégation d’entreprises françaises au Space Symposium de Colorado Springs, l’événement mondial de référence du secteur. « L’idée est de favoriser la visibilité des entreprises par une présence aussi large que possible, sur un stand qui réunit le CNES, le GIFAS, Aerospace Valley, les Régions et bien sûr Business France ». Avant de s’envoler pour Los Angeles explorer l’écosystème californien de la R&D spatiale (notamment le NASA Jet Propulsion Laboratory), et accélérer les rencontres avec le tissu local de grandes entreprises et de fonds d’investissement. De quoi nourrir les opportunités des PME et start-ups de la filière (lors de l’édition 2023, des protocoles d’accord de type MoU avaient été signés).

     UN SOUTIEN PUBLIC ET PRIVÉ

« Il faut dire que la filière est particulièrement scrutée par les pouvoirs publics français qui y voient un secteur stratégique en pleine expansion », analyse Samantha Douarin. Depuis 2017, plus de cent startups ont été créées sur le sol français dans le domaine du New Space et 351 millions d’euros de fonds ont été levés rien qu’en 2022 . Des noms comme Infinite Orbits, Stellar ou Prométhée ont émergé dans le paysage médiatique et sectoriel. Et dans le plan gouvernemental France 2030, la ligne consacrée au Spatial totalise 1,5 milliards d’euros de budget, incluant les soutiens de Bpifrance et du CNES, lequel dispose d’un incubateur dédié, « Connect by CNES ».

« Cette structuration commence à s’exporter en Amérique du Nord, témoigne Julien Tacco­-Narquin. Le CNES dispose d’un bureau à Washington et nous avons récemment créé un poste de chargé d’affaires aérospatiales basé à Houston, capitale américaine du spatial et plus particulièrement du vol habité. Le réseau NAFAN (North American French Aerospace Network), piloté par le GIFAS et Business France, est également en place depuis plusieurs années pour soutenir les sociétés françaises implantées, exportant ou prospectant en Amérique du Nord ». Historiquement présents, les grands groupes comme Airbus et Thalès ont vu progressivement s’établir des jeunes pousses tricolores attirées par les capacités financières des Venture Capitals et fonds de private equity américains. En 2021, 241 opérations de levées de fonds dans le secteur du New Space étaient recensées par le cabinet spécialisé BryceTech , soit 15,4 milliards de dollars d’investissements. « Le cosme d’investisseurs américains s’intéressant au NewSpace a beaucoup contribué à accélérer la filière française, même si tous les projets n’ont bien sûr pas abouti », analyse Julien Tacco-Narquin.

    CIBLER LE MARCHÉ US, UNE PRIORITÉ SECTORIELLE

Un élément de différenciation de l’écosystème français ? « Sans doute sa capacité à maîtriser l’intégralité de la chaîne de valeur, depuis la construction des appareils (lanceurs, satellites) jusqu’aux services opérés », assure Samantha Douarin. Une richesse et une diversité qui ne doivent pas masquer la concurrence prépondérante… des Américains eux-mêmes. « Là-dessus, l’idée est de mettre en avant la dimension partenariale : il faut savoir cultiver les interdépendances entre nos deux pays car il y a des segments d’innovation très forts côté français ». À commencer par les perspectives ouvertes dans le domaine de la logistique des satellites (ravitaillement, reroutage, gestion de la fin de vie) ou celui de la recherche médicale et pharmaceutique.

« Il y a donc un enjeu prioritaire à faire venir les start-ups sur le marché américain : la maturité technologique, financière et commerciale est là, sans que la concurrence ne soit encore trop forte », résume Julien Tacco-­Narquin.
Pourtant, certaines sont tentées d’aller explorer les nouveaux marchés asiatiques ou européens, qui semblent plus accessibles grâce à l’abaissement des barrières à l’entrée sur le prix des satellites et des lancements. Une façon de contourner les exigences financières et réglementaires du marché américain ? « Les États-Unis restent effectivement contraignants en termes capitalistiques et les barrières juridiques sur ce marché sont nombreuses, admet Julien Tacco-Narquin. Mais l’effet d’accélération induit par un contrat décroché aux États-Unis est inestimable. Et la force des entreprises sur place tient notamment dans la solidité des liens tissés au sein du réseau français ».

En avril prochain, la présence en nombre des acteurs français au Space Symposium tentera de faire la démonstration de cette cohésion de filière. Certaines entreprises engagées sur le programme l’année dernière ont déjà témoigné positivement de cette dynamique (voir le podcast plus bas). En attendant, vingt-six projets se sont vu récompenser d’un titre de Lauréat au sein du volet Spatial de France 2030 et pourront à ce titre bénéficier d’un accompagnement international. « La preuve du dynamisme de l’offre française dans ce domaine et de son ouverture très rapide à l’international, et notamment au marché nord-américain », conclut Samantha Douarin.

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