En novembre 2021, lors de la conférence de Glasgow sur les changements climatiques (COP26), l’ancien Premier ministre thaïlandais, Prayut Chan-o-cha et son homologue vietnamien Pham Minh Chinh avançaient des engagements forts en matière de décarbonation de leurs pays : un « zéro émission nette » (net zero) à atteindre en 2065 pour le premier et… en 2050 pour le second.
Des ambitions qui s’expliquent notamment par l’accentuation des effets du changement climatique dans la région – le Vietnam, territoire littoral, étant classé dans le top 5 des pays les plus affectés par ce phénomène et la Thaïlande subissant une multiplication d’événements météorologiques extrêmes (sécheresse, inondations, ouragans). Mais ces constats alarmants ne constituent pas le seul moteur des gouvernements…

LA DÉCARBONATION, ENJEU BUSINESS DES INDUSTRIELS EXPORTATEURS

« Ce qu’il faut comprendre avec la zone ASEAN, et plus particulièrement avec la Thaïlande et le Vietnam, c’est que ces pays disposent d’un tissu industriel très structuré, tourné vers l’export, qui est actuellement scruté par les donneurs d’ordre internationaux pour son impact carbone », explique Géraldine Mabille, correspondante Transition Énergétique pour Business France dans la région. En cause : les politiques RSE des grandes entreprises qui cherchent à verdir le Scope 3 de leur bilan carbone (c’est-à-dire leurs approvisionnements) et, plus récemment, la publication de réglementations européennes limitant l’accès au marché communautaire pour les produits à fort impact carbone (on peut citer le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières ou MACF, équivalent d’une taxe carbone pour une catégorie de produits importés comme les métaux ou le ciment, ou encore le Règlement Anti-Déforestation qui impose une traçabilité précise sur l’huile de palme, le soja ou le cacao dans l’industrie agro-alimentaire).

« S’ils souhaitent continuer à exporter vers l’Europe, et plus généralement vers les pays occidentaux, les industriels thaïlandais et vietnamiens n’ont d’autre choix que de décarboner massivement leurs appareils productifs », explique Géraldine Mabille. Une obligation qui s’applique autant aux producteurs locaux… qu’aux filiales des grands groupes occidentaux installées dans la région et soucieuses de se mettre en conformité avec leur politique de groupe.
« Nous avons vu une accélération des demandes d’aide des industriels sur leurs plans de décarbonation », confirme Florian Blin, directeur général d’ARTELIA Thaïlande, société française d’ingénierie de la construction, installée en Thaïlande depuis 2016. « Certains ont déjà un plan d’action détaillé, chiffré et avec des pilotes déjà établis qu’ils veulent pousser plus loin. Et d’autres débutent dans la mise en place de KPIs et la structuration de leurs plans ». Une dynamique nouvelle qui devrait booster la demande en solutions de décarbonation et en accompagnement technique ou stratégique…

Une demande de solutions et de conseils

« Depuis trois ans, nous organisons un événement dédié à ces enjeux de décarbonation dans la zone ASEAN, explique Géraldine Mabille. Nous avons vu de nombreux acheteurs du secteur de la construction s’intéresser à nos fournisseurs tricolores ; ils viennent également écouter les retours d’expérience de grands groupes comme Michelin ou Saint-Gobain qui partagent leurs best practices de décarbonation sur leur site local ».
Confirmation du côté d’ARTELIA : « Lors de l’édition 2023, nous avons vu des attentes fortes de la part des partenaires thaïlandais, raison pour laquelle nous participerons à nouveau en juin 2024 ». Car les deux journées organisées à Bangkok (4 juin) et à Ho Chi Minh City (6 juin) visent précisément à accélérer les rencontres d’affaires et à faire le point sur les besoins du marché, verticale par verticale : des ateliers spécifiques Industrie, Mobilités, Construction ou Énergie (entre autres) seront ainsi organisés… une manière de témoigner de la diversité et de la vitalité du paysage industriel local.

AUTOMOBILE, ÉLECTRONIQUE, AGROALIMENTAIRE, TEXTILE…

Car la Thaïlande comme le Vietnam sont des pays à forte composante industrielle : le secteur secondaire représenterait pas moins de 33 % du PIB du premier et 39 % du PIB du second.
Si le paysage industriel thaïlandais s’est construit majoritairement à l’orée des années 1980 autour de l’installation de grandes marques internationales dans le domaine de l’automobile et de l’électronique (le pays se classe parmi les 10 plus grandes nations industrielles sur ces secteurs) et sur les volets cosmétiques et agroalimentaire, le Vietnam a attendu d’accéder à l’OMC en 2007 pour axer son développement autour de l’électronique (34% de ses exportations), du textile-habillement (17% des exportations) et de l’agriculture. « La période COVID a également joué un rôle d’accélérateur, analyse Géraldine Mabille, car de nombreuses multinationales ont opté pour le territoire vietnamien quand elles ont constaté les difficultés d’accès au marché chinois. D’autant que le pays offre des conditions économiques favorables : une main d’œuvre qualifiée et abordable, des coûts énergétiques réduits et une ouverture régionale et internationale favorisée par de nombreux accords ».

Pour l’un et l’autre pays, les enjeux de développement se situent autour de la capacité du tissu industriel à monter en gamme et à créer de la valeur ajoutée : en Thaïlande, les pôles industriels de Bangkok et de l’Eastern Economic Corridor (EEC) rassemblent de plus en plus d’investissements autour de stratégies 4.0. « Dans ce contexte, l’impératif de décarbonation est vécu comme une planification budgétaire supplémentaire : certains n’avaient pas forcément prévu », témoigne Florian Blin qui souligne alors le rôle des bailleurs de fonds internationaux pour alimenter les projets (Banque Asiatique de Développement, Banque d’Investissement dans les Infrastructures Asiatiques, AFD…).

DES ENJEUX DE FINANCEMENT

« Il y a une manne financière qui arrive sur ces projets », confirme Géraldine Mabille. Au-delà de l’aide des bailleurs de fonds (l’AFD consacre 390 milliards d’euros dans la zone ASEAN pour des projets d’atténuation du changement climatique), les gouvernements se penchent sur des mécanismes de financement vert avec un calendrier encore à détailler : une loi est attendue côté thaïlandais d’ici juin 2024. « On aimerait que le gouvernement thaïlandais soit un peu plus prescripteur pour inciter les grands conglomérats à accélérer sur leurs projets », confie Florian Blin. En attendant, les mécanismes de crédit carbone internationaux précisés lors de la COP de Dubaï peuvent avoir valeur d’exemple : la Thaïlande a ainsi conclu un accord avec la Suisse pour le financement de projets concrets de réduction d’émissions. Et le pays dispose de ressources forestières et marines qui pourraient être monétisées en tant que puits de carbone. « Ces mécanismes de crédit carbone doivent être encore standardisés et labellisés mais ils constituent un premier pas pour l’engagement des acteurs privés sur le financement de la transition », analyse Géraldine Mabille.

Au Vietnam, les pouvoirs publics se montrent davantage interventionnistes, en vue d’une sortie du charbon d’ici à 2040. De 2017 à 2021, le pays a mis en place une politique d’investissements dans le domaine des énergies renouvelables, avec des résultats mitigés : si le pays est effectivement devenu le premier territoire de la zone ASEAN en matière de capacités ENR installées (essentiellement solaires et éoliens terrestres), la distribution et la fourniture n’ont pas réussi à suivre les contraintes spécifiques aux ENR (flexibilité, tarification, etc). « Aujourd’hui, le potentiel côté vietnamien se situe essentiellement autour de l’éolien offshore, avec des investissements internationaux importants », confie Géraldine Mabille. Selon le Plan National de Développement Électrique 2021-2030 (PDP8), plus de 6000 mégawatts seraient à produire de ce côté pour espérer concrétiser l’engagement de neutralité carbone du pays.

QUELS LEVIERS DE DÉCARBONATION ?

Quel sont, dès lors, les segments d’opportunité pour l’offre française sur le terrain plus spécifique de la décarbonation industrielle ? Sans surprise, les leviers de l’efficacité énergétique, du verdissement du mix énergétique, de la construction durable et des mobilités à faibles émissions sont les plus sollicitées. « Si en Europe, les industriels travaillent beaucoup sur la récupération de chaleur, ici les projets portent plutôt sur l’isolation et le refroidissement rapide des machines », témoigne Géraldine Mabille. Les stratégies de capture de CO2 (CCUS) sont également expérimentées sur les centrales à charbon. « En Thaïlande, nous avons observé une accélération des projets d’infrastructures de type EVc (stations de charge pour véhicules électriques) ou de fermes solaires et rooftops », raconte Florian Blin.

Mais la demande se situe surtout autour de l’accompagnement, de la formation et du conseil : « Les grands groupes français d’ingénierie servent de locomotives à l’offre tricolore : lors de l’édition 2022 de notre événement, plusieurs d’entre eux (Schneider Electric, TotalEnergies, Forvia, Saint Gobain) avaient accepté de venir partager leurs stratégies auprès de représentants publics et privés thaïlandais », rappelle Géraldine Mabille.

2024, ANNÉE CHARNIÈRE ?

 

L’offre française est donc prête à investir la zone ASEAN et le moment semble propice pour prospecter. « Sur la décarbonation industrielle, il y a des acteurs internationaux mais la concurrence n’est pas encore organisée, il faut se positionner dès à présent », insiste Géraldine Mabille. Florian Blin pointe une certaine latence dans la maturation des projets : « Pour l’instant, les industriels sont dans l’expectative car les financements sont encore à préciser et le contexte politique flou en Thaïlande a ralenti les prises de décision. Mais on est aux prémices de ces enjeux-là ». Le rattrapage pourrait se faire dans les prochains mois et offrir des opportunités à des acteurs qui trouveraient le marché européen déjà très mature. « Les industriels locaux peuvent être longs à convaincre mais, une fois que le ROI d’une solution est établi, leur intérêt ne se dément pas », assure Géraldine Mabille.

D’où la volonté des bureaux locaux de Business France de créer du lien avec les fédérations professionnelles et les grands groupes nationaux pour accélérer le dialogue avec les pépites françaises. En marge de l’événement de juin 2024, celles-ci devraient d’ailleurs être coachées en amont de leurs rencontres et suivies dans la pérennisation de leur prospection, en bénéficiant du programme d’immersion de l’agence export. « Le marché Décarbonation en ASEAN est identifié comme prioritaire et notre capacité à l’investir rapidement fera partie des clés du succès, conclut Géraldine Mabille. La dynamique est si forte et les impacts si nombreux qu’il est indispensable que les opérateurs s’intéressent à la Thaïlande et au Vietnam dès 2024. Dans cette optique, l’évènement de juin sera une première étape pour prendre contact avec les besoins des donneurs d’ordre ».

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